Reconstruire un logement, reconstruire une vie.
Comment construire sa vie sans toit ? Quand la menace de l’expulsion est quotidienne ? Quand le logement rend malade ? Aujourd’hui, 4 millions de personnes sont mal logées et 12 millions risquent de le devenir. Accéder à un logement digne et s’y maintenir ne vont plus du tout de soi. Alors la société se mobilise.
Depuis 2008, la crise du logement s’est accentuée. Des milliers de personnes travaillent et tentent de survivre dans des logements exigus, insalubres. Une personne à la rue sur 4 travaille. Des familles sont trimballées d’un hôtel meublé à l’autre. « Les transports, les cafards, tous les repas dehors, je n’oublierai jamais. On a vécu 6 mois en ne pensant qu’à ça : avoir un toit le soir. » Enceinte, Houda a même dormi 15 jours dans la rue. Reda, son mari, n’a pas oublié ces nuits d’inquiétude sans aucune perspective. « On avait été expulsé du studio que j’avais à Belleville, dans le 20e arr. de Paris, en 2012, car le propriétaire le vendait. Puis, on est tombé sur un escroc qui nous a loué un appartement déjà occupé. Entre le loyer et la caution, on a perdu 1800 euros en une journée, toutes nos économies. Après, ça a été la galère pendant 6 mois, avec nos 2 enfants. À l’hôtel, on ne pouvait rien faire, même pas chercher du travail ou inscrire les enfants à l’école. Il faut être stable pour faire quelque chose de sa vie. » Aujourd’hui, le couple trentenaire vit depuis deux ans dans un appartement de 79 m2, avec ses 3 enfants, âgés de 3, 5 et 8 ans. Le salon lumineux est meublé sobrement. Dans la chambre des enfants, deux lits colorés et des jouets sur le parquet. Au fond du couloir, la cuisine et la salle de bains où le couple a fait quelques travaux. « Quand on a visité, on nous a demandé si ça nous plaisait… bien sûr que ça nous plaisait, on n’y croyait même pas ! » Se sentir enfin à l’abri, pouvoir emmener ses enfants à l’école du quartier et aller au travail comme tout le monde… Quelques mois dans le logement d’insertion ont permis à la famille de trouver sa place dans le quartier et au père de renouer avec la vie active grâce à l’aide de l’Espace Solidarité Habitat (ESH) et de Solidarités Nouvelles pour le Logement (SNL).
Devenir habitant
« On s’est senti directement en confiance quand on les a rencontrés. Surtout, on nous a expliqué nos droits et montré comment faire. On n’y connaissait rien. Grâce à l’ESH, on a été reconnu prioritaire Dalo et on a rencontré la SNL Paris. Avec l’association, on a d’abord attendu plusieurs mois et un jour on nous a dit qu’il y avait un logement pour nous », explique Reda, qui sourit fièrement en évoquant la signature du contrat de location et la remise des clés. « Nous avons près de 200 logements répartis presque partout dans la capitale afin de favoriser l’insertion de nos locataires. Ils restent en moyenne 3-4 ans dans nos logements. Chacun d’eux est suivi par un binôme salarié/bénévole pour s’approprier le logement et reconstruire sa vie. Le bénévole habite toujours le quartier, d’abord pour tisser des liens de bon voisinage, mais aussi pour casser les idées reçues sur le mal-logement auprès de la population. L’insertion doit être la plus complète possible, c’est une volonté très ancrée chez nous », note Stéphanie Morel, administratrice SNL Paris et bénévole depuis 2008.
Au fil des mois, des liens se créent, chaque démarche est humanisée, y compris le versement du loyer. « Depuis 2 ans, ça n’a jamais été un problème de venir tous les mois pour le loyer. C’est la première marche pour envisager l’avenir et c’est aussi l’occasion d’une discussion plus large sur la vie au quotidien », précise Valentine Toloton, bénévole et avocate, qui accompagne le couple. « Je les aide dans leurs démarches et propose des sorties pour les enfants auxquelles ils peuvent participer. Ce que j’apprécie à la SNL, c’est que chaque locataire est membre de l’association, il la fait vivre, tout comme moi ; c’est important. Il y a une vraie dynamique. » Petit à petit, Valentine a noté que la famille prenait de l’assurance et s’investissait de plus en plus. « Elle fait presque partie de la famille », note Houda qui vient de confier à Valentine son désir de devenir éducatrice pour jeunes enfants. À la mi-mai, l’assistante sociale salariée de la SNL a accompagné Valentine pour signer le renouvellement de bail. 6 mois renouvelables, car la demande de logement social devrait avoir abouti d’ici là. Chaque année, 30 à 40 locataires de la SNL sont relogés, en grande majorité dans le parc public. Reda est prêt, même s’il est un peu angoissé. « On nous a bien aidés pour nous préparer. Maintenant, il faut saisir notre chance », avoue-t-il.
Co-construire en milieu rural
Le camion-fromagerie a disparu en 2013. Des bâtiments agricoles totalement neufs ont pris le relais sur l’exploitation saône-et-loirienne de 49 hectares du Gaec de la ferme du Jointout. L’activité de maraîchage de Thomas Trueblood complète le troupeau d’une centaine de chèvres et de brebis d’Adèle, sa femme, et de Yan. « On a eu une chance formidable », annonce tout de suite Adèle. « Thomas et moi voulions produire du bio et nous étions aussi très sensibles à la co-construction. Des idées plutôt rares en 2000 dans le milieu agricole ! » Grâce au réseau associatif « Terre de Liens », ils rencontrent Gabriel, 67 ans, qui cherche de jeunes repreneurs pour sa ferme. Depuis 2003, l’association nationale met en relation des porteurs de projets agricoles et des propriétaires fonciers qui veulent vendre, le tout dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. « Nous achetons en général les terres agricoles grâce à notre Foncière et apportons notre expertise au montage du projet. Les futurs exploitants doivent respecter la biodiversité sur leur exploitation et signent avec nous un bail rural et environnemental, c’est le cas des terres et de la maison d’habitation du Jointout », précise Louis Bignand, administrateur pour la région Bourgogne. Aujourd’hui, l’exploitation a trouvé son rythme de croisière ; Adèle et Thomas peuvent enfin accorder un peu de temps à la maison jusqu’ici délaissée. Une rénovation totalement intégrée à leur projet de vie qui leur tient à cœur. « Nous voulions là aussi respecter l’environnement et utiliser au maximum des matériaux naturels et participer le plus possible aux travaux », note Adèle qui s’est rapprochée il y a 6 mois, de Wilfried, membre du « Queirau », une association locale de formation sur la restauration du bâti : « Les normes sont respectées, bien sûr, mais dès qu’on le peut, on retourne aux pratiques et aux matériaux anciens. C’est le cadre de vie et l’habitant qui priment sur le reste. »
Aux côtés des artisans, le couple s’est d’abord attelé aux travaux de première nécessité pour isoler la maison et améliorer le confort. « Au début, je ne me sentais pas capable de faire toute seule, j’appelais souvent pour avoir un conseil, pour être rassurée », avoue Adèle. « Nous avons trouvé la logique de la maison. Cela va changer notre qualité de vie et celle des autres, car nous pourrons bien mieux recevoir nos amis », ajoute Thomas.
Après l’isolation de tout le grenier en tiges de chanvre cet hiver, le chantier a pris un autre virage au printemps. « Ils sont très impliqués ; l’intérêt de ces chantiers participatifs est vraiment réel car il faut rendre les choses faisables. On avance et on trouve des solutions ensemble », souligne Wilfried. « Notre objectif, c’est vraiment d’autonomiser l’habitant pour qu’il reprenne la main sur son habitat ». Une démarche que soutient « Terres de Liens » : « Qu’il s’agisse d’alimentation ou de logement, nous cherchons en fait à créer un réseau d’entrepreneurs responsables et de citoyens engagés à l’échelon local », conclut Louis Bignand.
Partir de l’habitat pour « faire ensemble » et « faire société », une démarche qui constitue aujourd’hui un véritable enjeu économique et social.