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L’embolie du logement étudiant

Premier poste de dépense des étudiants, le logement leur est devenu quasi inaccessible. C’est désormais le 1er frein à leurs études, leur santé et leur insertion.

« Dans les Hauts-de-France, le nombre d’étudiants augmente, pas les logements. L’an dernier, il y avait un logement Crous[1] pour 20 étudiants, la moyenne nationale étant de 1 pour 16. Ici, 30 % des étudiants sont mal logés, soumis à une forte précarité énergétique, sans parler des moisissures, des cafards, des punaises de lit… », précise Youcef Hadji, vice-président de l’Université de Lille, la plus grande de France avec celle d’Aix-Marseille. Ici, 60 % du parc locatif est privé et le loyer moyen pour un studio de 15 m2 est de 520 euros, sans les charges. À Paris, on atteint des records, avec un loyer moyen de 838 euros dans la capitale, le plus élevé de toute la France. En Septembre, la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) annonçait un coût de rentrée marqué par une hausse de 2, 7 % par rapport à l’an dernier, avec une augmentation des loyers de 2, 5 %. « C’est clair, les étudiants, nombreux à ne pouvoir compter sur aucune aide parentale, n’ont presque qu’une alternative : des logements indécents ou très mal isolés », ajoute Youcef.

En 2023, la Métropole de Lille affichait un total de 1005 logements sociaux construits, moitié moins qu’en 2021. À Douai, située à une demi-heure de voiture de Lille, l’on compte aujourd’hui 8 Facultés, 2 IUT, et 1 école d’ingénieurs. Aucun logement Crous n’est sorti de terre, les plus proches sont à 24 km. « Les transports ont aussi beaucoup augmenté et sont devenus le 2e poste de dépense des étudiants. En plus, avec les retards et les annulations de train, très peu prennent le risque. » En 2023, la Fondation dénonçait dans son éclairage régional la hausse de 16 % du nombre de demandeurs de logements sociaux dans les Hauts-de-France.

Etudiant = endettement

En début d’année dernière, une étude réalisée à l’Université de Bordeaux notait une hausse des symptômes dépressifs chez les étudiants, près de la moitié d’entre eux en étant victime. « La question financière est au cœur du problème. Soit on est mal-logé, soit on se salarie ; mais avec 10 à 15 heures d’emploi par semaine payées au Smic, on règle tout juste le loyer. Dans les deux cas, l’étudiant va rencontrer des difficultés pour étudier. Le mal-logement est la 1re. cause d’échec en Licence ; 48 % des étudiants salariés n’ont pas obtenu ce diplôme l’an dernier. Nous voyons depuis deux ans, de plus en plus de jeunes s’endetter. Avant, faire un prêt pour ses études, c’était inenvisageable. Aujourd’hui, on accepte de s’endetter avant de travailler. » C’est le cas de Sarah, 21 ans, actuellement en Licence de Sciences politiques, à Lille. « J’ai pris la décision en août 2022, même si l’Université est publique, mes parents ne pouvaient pas m’aider pour le reste. J’ai contracté un prêt de 30 000 euros pour mon cursus et consacre 800 euros/mois pour le logement et la nourriture. » Forcée de quitter Paris pour ses études suite à Parcoursup, Sarah dédie 70 % de son budget à la location d’un studio de 20 m2 qu’elle a cherché longtemps. « Malgré mes recherches, j’ai toujours trouvé au dernier moment. J’ai eu de mauvaises expériences de colocation et en janvier dernier, j’ai cherché un studio. Je mange léger pour peu dépenser et tous les étés, je travaille ; j’arrive à gérer. Autour de moi, il y a bien pire, des étudiants qui dorment dans des halls d’immeuble ou dans leur voiture pendant un ou 2 mois avant d’avoir une solution… », note Sarah qui s’est syndiquée pour lutter à son niveau contre la précarité étudiante.

Loger et accompagner, pari tenu

Changement de décor, direction Bordeaux. Dans le quartier de Bacalan, Imane vit sa 1re expérience locative et s’est sentie tout de suite privilégiée. « Je pense que j’ai trouvé la perle rare, ici. Cette colocation de 144 m2, à deux pas des commerces et des transports, pour 375 euros de loyer, c’est top ! » À 18 ans, la jeune étudiante a débuté un CAP petite enfance en septembre. Pour elle, il n’était pas question de s’y prendre à la dernière minute pour se loger. « Je viens de Mont-de-Marsan, ma mère ne pouvait pas du tout m’aider. C’est mon frère qui a payé la caution. Sans lui, je n’aurais pas pu faire ces études. Je savais que ça allait être compliqué, du coup j’ai cherché dès le mois de juin. J’ai pris le logement tout de suite et j’ai trouvé un travail dès juillet comme aide à domicile pour payer mes loyers, ma nourriture et un peu de loisirs, j’espère... » Dans la métropole bordelaise, l’aggravation de la crise du logement des jeunes est ressentie depuis 2017, avec un pic en 2020, durant le Covid, où trop d’étudiants se sont retrouvés à la rue, faute de petits boulots pour payer leur loyer. « On a créé notre association à ce moment-là, sur le modèle de l’Association de coopération pour le logement des étudiants de France (l’Aclef), à Paris. On était un collectif d’étudiants, on a réussi à capter 20 logements tout de suite. Aujourd’hui, on en gère 128 », précise Lise Nebot, responsable territoriale à « l’Aclef » qui travaille en étroite collaboration avec Bordeaux métropole et les 3 principaux bailleurs locaux, Gironde Habitat, Clairsienne et Aquitanis. Objectif : offrir une offre de logements accessible et adaptée aux jeunes, à partir de 18 ans. « On assure la gestion locative des logements en lien avec les besoins des étudiants. L’objectif, c’est de les rendre acteurs et autonomes. Fin juillet, nous avions 10 demandes pour un logement. Nos seuls critères, avoir moins de 30 ans, être éligible au logement social et être en cursus, même pour 2 mois de stage. » Les logements proposés, du studio au T6 en colocation sont 30 à 35 % moins chers qu’un loyer Hlm, avec un bail d’un mois minimum. Le plus souvent, les charges sont comprises.

Innover

Parmi les logements gérés par « L’Aclef », 42 sont situés sur le site « La Lumineuse », une ancienne résidence pour personnes autonomes vacante, rénovée par la Ville et destinée à accueillir entre autres 10 jeunes en situation très précaire qui bénéficient sur place d’un accompagnement global vers le logement. « Grâce à notre partenariat avec la Ville, la Fondation Abbé Pierre et le Comité local pour le logement autonome des jeunes (Cllaj), nous avons ouvert en septembre 2023. Ici, les jeunes sont logés dans 34 m2 pour 400 euros, charges comprises et en général, ils bénéficient de 270 euros d’APL. Il y a aussi des espaces collectifs. On a obtenu de la Métropole un montant de loyer très bas ; les 1ers jeunes à s’installer ici vivaient dehors, à l’aéroport, dans leur voiture. Beaucoup nous sont envoyés par les équipes de maraude et par la Fondation. Nous avons aussi 2 places réservées à la Protection Judiciaire de la Jeunesse », ajoute Lise. Wendwaoga est arrivé à « La Lumineuse » en juillet dernier. Originaire de Marseille où il a suivi des études de génie civil, il a 6 mois de stage à effectuer dans le cadre de son master de management de chantier. « Ma formation de 15 mois me coûte 9 000 euros, j’ai dû faire un prêt étudiant que je rembourserai dans un an. Je suis ici pour 6 mois… Avec ma paye et mes économies, je vais y arriver, mais je ne fais aucune sortie, aucune dépense. Je ne prends qu’un seul repas par jour, le soir. Au début, un copain qui était au Crous me prêtait son lit, mais ce n’était pas tenable. Ici, je suis très bien ; avec les APL, le loyer qui est bas, je suis enfin en paix. C’est important d’être serein pour bien finir mes études. Après ce stage, j’espère enfin gagner ma vie. J’ai beaucoup galéré pour arriver jusqu’ici. »

[1] Les Crous sont des établissements publics qui assurent la restauration, le logement et la vie étudiante des étudiants.

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