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L’après Covid : Sauver l’accueil inconditionnel

La crise du Covid a porté un coup de projecteur sur la grande précarité en France. Au début de la pandémie, les associations ont dénoncé le non-accès aux droits les plus élémentaires dont elle était victime, puis salué l’aide publique d’urgence et les mises à l’abri. Cette période inédite a bouleversé l’accueil inconditionnel dans notre pays qui compte 300 000 personnes sans domicile.

C’est le plein été à Marseille, dans le quartier de la Belle de Mai, le plus pauvre d’Europe. L’accueil de jour de Bouès tourne pourtant à petite vitesse alors que l’on dénombre environ 20 000 personnes sans domicile dans la cité phocéenne pour seulement 5 structures d’accueil. « Notre public a évolué en dix ans, nous avons beaucoup de sans-papiers, de jeunes mineurs isolés, de familles Roms…  mais ces personnes ont du mal à venir jusqu’à nous depuis que nous avons déménagé. Politiquement, on nous a installé ici pour être parmi les plus précaires, mais c’est le quartier le plus mal desservi de la ville », déplore Sabine Fabiani, responsable du lieu qui accueillait quotidiennement 100 à 300 personnes avant la crise du Covid et le déménagement.

Ouvert il y a 30 ans grâce à un collectif d’associations, le plus ancien accueil de jour marseillais est aujourd’hui financé principalement par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le Département et l’Agence régionale de santé (ARS) qui ont permis de limiter à 2 semaines la fermeture du site pendant toute la crise. « La domiciliation, les services d’hygiène et de santé, l’accompagnement social… il a fallu tout revoir pour protéger tout le monde. Du coup, ce que nous ne pouvions pas faire dedans, nous l’avons fait dehors, en constituant des équipes mobiles avec l’accord de tous les salariés », précise Sabine qui se souvient que la 1ère équipe mobile pour les grands précaires avait été créée à sa demande en 2008. Aujourd’hui, l’accueil de jour compte 45 salariés à temps complet qui ont sillonné toute la ville pendant plus d’un an. « Les besoins étaient énormes, on faisait des binômes pour assurer le lien avec les grands précaires 7 jours sur 7. Grâce à la collaboration de toutes les structures et la coordination associative, on a pu répondre à l’urgence. Mais nous n’avons pas pu assurer un accompagnement global des personnes rencontrées, ce qui est pourtant vraiment nécessaire », précise-t-elle. Et c’est bien là que le bât blesse. Comment rattraper les dégâts causés par la crise ? « Orienter les personnes à la rue, ce n’est pas rien, encore plus après la crise du Covid ! L’accueil inconditionnel reprend tout doucement et l’objectif, c’est de pouvoir ouvrir 7 jours/7 en octobre. Mais il faut aussi maintenir « l’aller-vers ». Car les grands précaires ne sont pas en capacité de venir vers nous ni de faire la moindre démarche. Il faut des professionnels formés pour cela. Nous avons monté il y a deux ans une équipe exploratoire de 6 personnes, dont une infirmière, pour aller au-devant des plus précaires, financée jusqu’à la fin de l’année par la DGCS. Mais après ? La grande précarité a besoin d’un accompagnement global et médical, comme ce que l’on fait pour les toxicomanes ou la prostitution. »

Délitement

Selon une étude de la DGCS1parue en juillet dernier sur les accueils de jour, la fréquentation des structures est en pleine augmentation depuis 5 ans et 58 % de celles ayant participé à l’enquête demandent plus de moyens humains, estimant ne pas en avoir assez pour assurer un accueil collectif (30 %) et individuel (47 %).

À Marseille comme ailleurs, les professionnels de la veille sociale font également un constat qui vient aggraver l’isolement et la détresse des grands précaires : la numérisation croissante des démarches administratives avec pour corollaire la réduction du nombre des référents dans tous les secteurs de l’aide sociale (CMU, RSA, SIAO…). « Les grands précaires n’ont ni accès à Internet ni l’autonomie pour effectuer des démarches qui sont de plus en plus segmentées ».

Dans les locaux de l’accueil de jour du Groupe Amitié Fraternité, dont elle est responsable adjointe, Mathilde Fouade partage ce constat. À Toulouse qui compte une dizaine d’accueils de jour, la structure s’étend sur 300 m2 sous-loués au Secours Catholique, dans le quartier des Minimes : « Nos locaux sont vraiment vétustes, on n’est clairement pas assez nombreux et on tire sans arrêt sur la corde pour essayer de maintenir un accueil inconditionnel de qualité. Au début de la crise, on est resté ouvert, mais la réponse à l’urgence s’est faite au détriment du lien, on a arrêté tous les accompagnements car l’accès à certains services publics étaient fermés et nous les avons remplacés (douches et toilettes publiques, fontaines à eau…). Assurer ces services en préservant la dignité des personnes ne nous laissait plus de temps pour les accompagner. Nous n’étions plus un lieu repère, un lieu-ressource pour elles. Il y a eu de plus en plus de violence, on a dû fermer », précise-t-elle. « On a appelé à l’aide la DGCS qui nous a soutenus matériellement, mais pas au niveau des moyens humains. L’accueil inconditionnel ne va pas sans un accompagnement global, si on ne sert qu’à distribuer des services ou de la nourriture, ce n’est plus le même travail et ce n’est pas pour cela que je suis ici. Heureusement qu’il y a encore des moments formidables ! »

Demandes de subvention, réponses à des appels à projet pour obtenir des financements et récemment courriers à la Préfecture pour annuler les amendes pour errance ou non-port du masque… autant de temps qui n’est pas accordé au public. « Le but du GAF, c’est de favoriser la réinsertion par l’épanouissement. Aujourd’hui, nous avons du mal à travailler dans le respect des personnes », déplore Mathilde.

À quoi on sert ?

C’est la question que se posent de nombreux professionnels dans les accueils de jour, premier maillon de la chaine de l’inclusion. Après la crise sanitaire, c’est en effet à une sorte de crise identitaire que Cécile, assistante sociale à la Boutique Solidarité de Metz, se trouve confrontée : « La pandémie a vraiment mis à mal notre mission d’accueil dans un lieu de création de liens, où l’on peut se poser et discuter. L’accueil anonyme et inconditionnel est passé à la trappe, on a établi des listes de noms, un temps de passage chronométré et distribué des denrées et des services. » Les faits sont là, exit le lien social, la convivialité, l’écoute et l’accompagnement dans la durée. L’urgence a empêché la pleine expression du travail social, celui qui n’est ni quantifiable ni mesurable, d’autant plus nécessaire qu’ici, une grande partie du public souffre de maladies psychiatriques. « La crise a accentué la souffrance. Pour ces personnes, il faut vraiment un accompagnement long, or plus personne ne le fait. Il n’y a plus d’équipe psychiatrique mobile à Metz et l’hôpital est désormais à 20 km du centre-ville », note amèrement Cécile.

Depuis l’été, les rendez-vous individuels ont repris, les allers et venues dans la Boutique et les tablées un peu plus grandes sont à nouveau autorisées, en restant vigilant. « ici, nous avons tout notre temps pour recréer la convivialité et retisser le lien humain. Mais les autres accueils de jour ? »


1 « Enquête nationale sur les Accueils de jour 2021 » réalisée par l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA) en partenariat avec la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et réalisée auprès de 385 accueils de jour répartis dans 99 départements.